Yaoundé : le trafic de carburant fait son plein


Laverie de la voirie municipale. Une trentaine de laveurs sont en action ce 15 juin 2019. Entre ceux qui astiquent les voitures, ceux qui essayent d’attirer un client, on entend de grands éclats de rire et de chaudes discussions sur le football. Dans cette ambiance, propriétaires et chauffeurs des véhicules à laver tuent le temps à l’ombre des hangars aménagés par la Communauté urbaine. On y retrouve des bars, salons de coiffure, « tourne-dos », « matango clubs » greffés à la laverie. Bientôt, un étrange manège attire l’attention : un groupe de laveurs tout de noir vêtus, sillonne la laverie. Ils tiennent en main des bidons vides et des tuyaux. Ce sont manifestement des vendeurs de carburant. Ce que confirme l’un d’eux, approché quelques instants plus tard.

Le vendeur, un jeune homme d’une trentaine d’année se montre plutôt enthousiaste devant l’intérêt de ce potentiel client qui l’aborde. Malheureusement, il ne peut satisfaire la demande. « Pour le moment nous n’avons pas de l’essence. L’essence, c’est l’or noir ici. Les militaires nous la taxent cher, c’est pourquoi elle est rare. Ce n’est pas comme avec le gasoil ». Le client est donc invité à patienter. Ce qu’il fait, en se montrant quand même sceptique. Notre vendeur en habitué essaye de le convaincre : « C’est du carburant militaire. Il n’y a aucun souci avec ».

Au bout d’une petite heure, l’alerte est donnée en deux mots : « C’est là ! ». Au pas de course, les laveurs en noir récupèrent des bidons. Difficile de les suivre ou de voir où ils vont. Il ne faut surtout pas faire montre d’une curiosité suspecte. A environ 200 mètres, un camion militaire vient de se garer. Un autre groupe de laveurs habillés en vert s’activent autour du véhicule, faisant mine de les nettoyer avec empressement. En réalité, cet activisme sert de couverture. Le siphonage des réservoirs se fait là, à l’abri des regards. Une vingtaine de minutes après, les laveurs en noir reviennent avec des bidons pleins de gasoil. Les bidons sont stockés tout près d’un pylône dans l’herbe environnante. 

L’arrivée du carburant entraîne une agitation soudaine dans les buvettes et salons de coiffure des alentours. Les clients qui attendaient depuis un moment commencent à être servis. Les vendeurs collectent l’argent, ils reviennent remplir les réservoirs au vu et au su de tous. 550 F le litre de super et 500 F celui de gasoil. Un monsieur en chemise rose a pris le temps de se refaire une beauté. Et à l’annonce de l’arrivée du carburant, il se rapproche des laveurs et leur donne des indications à suivre. Après une dizaine de minutes, 20 litres de gasoil lui sont apportés. Son réservoir rempli, il s’en va après avoir payé. C’est ainsi que ça se passe ici, on  lave son véhicule, on consomme du carburant. Le camion militaire  arrivé tout poussiéreux,  repart de la laverie dans le même état. 

Nsam

A l’exemple de la laverie municipale, de nombreux points de commerce illicite de carburants se sont développés dans la capitale depuis le démantèlement du site de Nsam, après la catastrophe ferroviaire de 1998. L’activité a repris timidement depuis des mois au lieu dit  Dakar dans un parc automobile en face de la Société camerounaise des Dépôts pétroliers (SCDP). À l’entrée, de jeunes garçons, la vingtaine et la trentaine apparentes, sont assis, silencieux. A cet endroit, impossible de s’arrêter pour se renseigner. Il faut tout simplement jouer à l’habitué ou au connaisseur. Une seule entrée conduit à ce lieu bien caché et peu fréquenté. Juste à l’arrière des véhicules exposés pour la vente, une forte odeur de carburant se dégage. Le sol est sombre et luisant. Les jeunes laissés à l’entrée ont accouru. Ils s’imaginent très bien ce dont les visiteurs ont besoin et s’amènent avec des bidons pleins de gasoil. « Avez-vous de l’essence? Nous en aurons besoin pour vendredi. Un plein, pour effectuer un voyage ». Réponse : « Oui nous avons de l’essence mais il faudra appeler avant de passer ». Le jeune passe son contact et le rendez-vous est pris. Sur l’origine de la marchandise vendue ici, c’est un riverain qui donne l’information : « Ici, c’est le carburant de la SCDP. Dans la nuit, certains camions sont siphonnés avant de prendre la route », indique notre source. Les camionneurs seraient donc à l’origine du trafic de ce côté de la ville.

Dans la zone d’Ahala, lieu dit Premier échangeur, la même activité s’est développée. Dans la première laverie du coin, c’est l’odeur de l’essence et un camion citerne de la SCDP qui attirent l’attention. Il vient d’être siphonné. On aperçoit des laveurs s’éloigner avec des bidons pleins de carburant tandis que le camion poursuit sa route en direction de la SCDP à Nsam. « Ce n’est pas nouveau. Il y en a qui viennent de Douala, s’arrêtent avant de repartir et ceux qui sortent de la SDCP et font d’abord escale ici », confie une commerçante installée juste devant la laverie. C’est donc un vol organisé qui se déroule avec la complicité des transporteurs, loin des assurances des responsables de la SCDP qui pensent pourtant avoir trouvé des mesures de sécurisation de leur carburant.


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