Il y a quelques jours, s’est achevé à Addis-Abeba, le 29e sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine. L’agenda de ce sommet était particulièrement chargé. Les chefs d’Etat devaient en effet discuter de trois sujets d’importance : la jeunesse, les conflits et surtout la réforme de l’Union africaine. Depuis sa création en 2002, l’UA héritière de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) est critiquée de toutes parts. On lui fait grief de sa bureaucratie, des problèmes de mise en œuvre des décisions et surtout de sa dépendance financière vis-à-vis des bailleurs internationaux. C’est la raison pour laquelle en juillet 2016, les dirigeants africains avaient chargé le président rwandais, Paul Kagamé de réfléchir sur les voies et moyens de réinventer le fonctionnement de l’organisation panafricaine.
Lors du dernier sommet des chefs d’Etat, la réforme de l’UA a cristallisé les débats, notamment la question de son financement. En effet, plus de la moitié du budget de l’UA provient des partenaires non-africains. Ce système d’assistanat permanent est un obstacle à l’autonomie de l’organisation et l’empêche de déclencher le processus de développement économique du continent. Pour y remédier, le président Kagamé a présenté à ses pairs le fruit de la réflexion de l’équipe qu’il a dirigée. Il s’était notamment entouré de neuf personnalités africaines indépendantes parmi lesquelles, le Bissau-guinéen Carlos Lopes, ancien parton de de la CEA jusqu’en octobre 2016, Amina J. Mohammed, vice-secrétaire générale de l’ONU, le Rwandais Donald Kaberuka ancien président de la Banque africaine de Développement (BAD) et le Camerounais Acha Leke, associé du célèbre cabinet McKenzie.
Parmi les réformes proposées, il y a par exemple le renforcement des compétences du président de la Commission, le renforcement des sanctions pour les pays qui ne paient pas leur contribution. Mais la réforme phare porte sur le financement de l’organisation. Le principe a été adopté d’instaurer une taxe de 0,2 % sur les importations de tous les produits non-africains qui rentreraient sur le continent. Et c’est avec le fruit de la collecte de la « taxe Kaberuka » dont le principe a été adopté que l’organisation compte s’autofinancer.
Cette mesure forte fait pourtant déjà face à des résistances. Certains pays, parmi lesquels des poids lourds de l’UA, l’Afrique du Sud et l’Egypte notamment affirment que cette taxe serait contraire à la règle de la libre concurrence de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Quoiqu’il en soit, un tiers des Etats membres ont déjà accepté le principe, et certains ont même entrepris de modifier leur législation nationale à cet effet. D’autres demandent un peu plus te temps.
Dans l’ensemble, il y a une unanimité sur la nécessité de toiletter les structures et les procédures de l’UA. Il est davantage question de définir un nouveau mode de financement. L’UA a visiblement décidé de franchir le pas. Mais de nombreux doutes persistent sur l’effectivité des réformes annoncées. Les chefs d’Etat africains vont-ils enfin décider de franchir le pas ? Rien n’est moins sûr. D’ores et déjà, selon le président de la Commission de l’Union africaine, l’Afrique a décidé de prendre en charge 25% des opérations de maintien de la paix en territoire africain, pour laisser que les 75% qui restent soient financées par le Conseil de sécurité de l’ONU. Pour le reste et singulièrement sur le dossier du financement l’année 2017 est une année de transition. C’est en janvier 2018 que tous les pays africains devraient obligatoirement appliquer la nouvelle donne. Ce n’est pas gagné.
Interview
Pr Désiré Avom: «Ce n’est pas une volonté nouvelle»
Doyen de la Faculté des sciences économiques et de gestion de l’université de Dschang
Les dernières assises de l’Union africaine ont mis en exergue une volonté des Africains de financer eux-mêmes leur organisation. Dans quelle mesure un tel projet est-il possible?
Ce n’est pas une volonté nouvelle, elle est ancienne et consubstantielle à l’existence d’abord de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) à sa création en 1964, puis de l’Union Africaine (UA) depuis 2002. La plupart des projets de financement suggérés et mis en œuvre n’ont pas permis de garantir l’autonomie financière de cette institution qui apparait comme une condition nécessaire de son appropriation par les africains, et à la réalisation de ses missions. Savez-vous que 93% des financements de l’UA proviennent des sources extérieures, et seulement 7% viennent des pays membres. De plus, en moyenne, 67% des contributions statutaires sont effectivement recouvrées tous les ans des États membres, avec environ 30 États membres partiellement ou intégralement défaillants tous les ans. Cette situation crée un écart de financement important entre le budget prévisionnel et son financement réel, ce qui entrave considérablement l’exécution effective du programme d’activité de l’Union africaine. En effet, vous conviendrez avec moi que le financement des activités de l’UA apparait comme un véritable défi. Ceci est d’autant plus vrai que la vision et les priorités de développement ne peuvent pas être mises en œuvre avec les financements extérieurs, lorsqu’on sait que les donateurs orientent les choix stratégiques en fonction de leurs priorités. La mise en œuvre permanente et réussie des programmes de l’Union requiert donc de rendre disponible un financement adéquat, prévisible et durable.
C’est dans cette perspective que les chefs d’État ont décidé d’inverser la tendance à l’occasion du 27ème sommet de l’UA qui s’est tenu à Kigali au Rwanda en mettant en place une taxe de 0,2% sur les importations. La base d’imposition du prélèvement à l’importation de l’Union africaine sera la valeur des marchandises admissibles, originaires d’un État non membre, importées sur le territoire d’un État membre et devant être consommées dans ledit État membre. Les recettes recouvrées seront ensuite versées conformément aux contributions statutaires approuvées de chaque État, y compris celles du Fonds pour la paix. Ainsi, tout excédant perçu par les États membres après avoir rempli ses engagements en vertu des contributions statutaires est retenu par l’État membre, alors que tout déficit résultant de la différence entre les contributions statutaires et les recettes perçues par l’État membre au titre du prélèvement sera pris en compte par l’État membre. Les recettes recouvrées au titre du prélèvement à l’importation sont ensuite remises conformément à la contribution statutaire approuvée, y compris celle du Fonds pour la paix.
L’autofinancement de l’Union africaine s’appuie sur l’idée de prélèvement d’une taxe de 0,2% sur les importations en Afrique. Comment cette taxe peut-elle être applicable lorsqu’on connait les obstacles liés à l’Organisation mondiale du commerce et au cadre juridique national de certains pays ?
Il convient de signaler que l’instauration de la taxe sur les importations de 0,2% est l’aboutissement d’un long processus au sein de l’UA qui a conduit à la création par la Conférence des chefs d’Etat d’un groupe de Haut niveau dirigé par l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo. Celui-ci avait pour mission explicite d’étudier les sources alternatives de financement de l’Union. Les travaux de ce groupe d’experts ont conduit à l’élaboration de recommandations concrètes s’appuyant sur plusieurs simulations portant sur l’instauration de plusieurs taxes de 10 dollars sur les billets d’avion pour les vols en partance ou à destination de l’Afrique, 2 dollars sur les nuits d’hôtel, SMS. Ces différentes taxes permettraient de lever environ 730 millions de dollars, par an et, de garantir l’émancipation de l’UA.
De mon point de vue, les prélèvements de 0,2 % ne sont pas en contradiction avec d’autres accords internationaux notamment ceux de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) dont la mission principale est le démantèlement progressif des barrières tarifaires. Dans cette perspective l’OMC, ne s’oppose pas à l’instauration de nouvelles taxes, mais à l’augmentation moyenne du niveau de prélèvement déclaré par l’Etat lors de son adhésion. Autrement dit, l’augmentation ou l’instauration d’une nouvelle taxe doit s’accompagner toutes choses égales par ailleurs de la baisse d’une taxe existante pour éviter une augmentation en moyenne du niveau de prélèvement. De plus, le prélèvement n’est pas nouveau, plusieurs variantes d’un tel prélèvement sont déjà opérationnels dans de nombreuses organisations régionales dans le monde. En Afrique, particulièrement, de tels prélèvements existent dans la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la Communauté des économiques des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC) et la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) se sont révélés assez efficaces dans la collecte des ressources. Ceux-ci sont habituellement appliqués dans le cadre des unions douanières et des zones de libre-échange sans qu’ils soient forcementen contradiction avec les normes internationales. Avec l’introduction de la Zone de libre-échange continentale en 2017, laquelle sera en substance une union douanière à l’échelle de l’Afrique, un tel prélèvement devient par conséquent possible et amplement justifiable.