Depuis le début de la session parlementaire, les députés du Social Democratic Front (SDF) n’en finissent pas d’attirer l’attention. Après le boycott de la séance plénière d’ouverture, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, et celui des travaux de la Commission des Affaires étrangères, ils ont déboulé tambour battant à la plénière d’adoption de la loi de règlement, en chants et en danses, la fleur au fusil, comme une bande de gais lurons payés au cachet pour amuser les élus, sauf que leur manifestation bruyante visait clairement à perturber les délibérations de leurs collègues. L’explication, venue tardivement, est simple : les élus du SDF entendaient mettre à l’ordre du jour de la session parlementaire un débat sur la situation qui prévaut dans le Sud-ouest et le Nord-ouest. Aspiration on ne peut plus légitime, pour eux qui portent la voix du peuple, mais qu’ils ont choisi de ne pas soumettre à la procédure des « questions préalables », selon le règlement intérieur de l’Assemblée nationale. En faisant en outre le choix risqué de ne pas évoquer leur préoccupation devant la conférence des présidents, à laquelle ils ont pris part, ils ne pouvaient que se limiter à cette scène de politique-spectacle à laquelle le public a eu droit, au risque d’être assimilés à de simples démagogues soucieux d’inscrire un acte banal d’indiscipline dans le registre de l’héroïsme. Par cette attitude, ont-ils servi la cause qu’ils prétendaient défendre ? Rien n’est moins sûr. Certes, on peut penser qu’ils présumaient, au vu des forces en présence dans la représentation nationale, que le vote lors de la procédure des questions préalables leur aurait été défavorable. Peut-être bien. Mais il eut été mille fois plus honorable d’essuyer un refus, que de snober le règlement intérieur, dans une institution présentée comme le temple de la loi.
Ainsi donc, 25 ans après la restauration du multipartisme et l’avènement d’un parlement pluraliste, le Cameroun semble vivre à nouveau la période d’euphorie et d’hystérie parlementaire, ponctuée d’éclats de voix et de claquements de portes qui a suivi la rentrée parlementaire de 1992, alors que l’hémicycle de Ngoa Ekelle venait d’accueillir, au terme des législatives du 1er mars 1992, quatre formations politiques : le RDPC, l’UNDP, l’UPC et le MDR. Si l’on y constatait une telle effervescence, c’est que le RDPC, arrivé en tête du scrutin, ne disposait pas d’une majorité absolue. Et que les tractations pour constituer celle-ci, au lendemain du déboulonnement du système du parti unique, ne pouvaient attiser que de l’électricité et des passions dans l’air. D’ailleurs, c’est avec une certaine bienveillance que les Camerounais observaient cette agitation, n’hésitant pas à y lire la manifestation évidente de la vivacité de notre démocratie naissante.
La différence entre les deux époques, c’est que le SDF, absent de l’hémicycle en 1992, pour cause de boycott des élections, avait perdu une rare occasion de peser sur la mise en place du parlement pluraliste, de ses lois et règlements. En 2017, les élus du SDF dédaigneront-ils une nouvelle chance de se présenter comme des hommes de principe, attachés à la paix du Cameroun et au progrès de leur peuple ? Personne ne peut, de bonne foi, affirmer que la situation dans les régions anglophones n’a pas été prise à bras-le-corps par les plus hautes autorités de l’Etat. Sinon, comment expliquer les avancées positives obtenues à ce jour sur le terrain dans tous les domaines ? Retour progressif dans les écoles, les lycées et les universités. Reprise des plaidoiries par les avocats, et relance de l’activité économique. En dehors des dizaines de mesures prescrites par le chef de l’Etat en réponse aux doléances des syndicats d’avocats et d’enseignants – la dernière en date étant la création de l’Ecole polytechnique de Bamenda vendredi dernier – on peut citer le déploiement effectif de la Commission nationale du bilinguisme et du multiculturalisme, qui sillonne le pays et ses institutions dans le but de proposer de nouvelles modalités visant à améliorer le vivre-ensemble.
Mais le président de la République est allé encore plus loin. Sans doute pour se préparer à apporter des réponses locales et ciblées à la question, Paul Biya a dépêché il y a quelques semaines des émissaires de choix sur le terrain : le Premier ministre, chef du gouvernement, Philemon Yang, et le président de la Commission nationale du bilinguisme et du multiculturalisme, Peter Mafany Musonge. Les députés du SDF ont d’ailleurs, en dehors de quelques localités, participé à ces sessions d’écoute, où leurs doléances ont été dûment enregistrées. Depuis lors, les deux émissaires ont remis leur copie au chef de l’Etat, dont on peut penser qu’il l’a exploitée au mieux. A l’heure qu’il est, c’est le premier Camerounais qui a la main, et qui va agir sans aucun doute dans l’intérêt bien compris de notre pays dont il garantit l’unité et la stabilité. Toute impatience exprimée aujourd’hui dans la fébrilité ne serait elle pas une manière de lui griller la politesse, en enfonçant une porte largement ouverte ?
Cela dit, il aura fallu ce comportement atypique des députés du SDF pour faire comprendre à l’opinion publique, comme ils l’ont laissé entendre à certains journalistes, un certain inconfort de leur position. Entre la pression des ultras de leur parti –ou des donneurs d’ordres tapis à l’étranger – qui jouent leur va-tout dans l’instrumentalisation du malaise anglophone, et leur conscience professionnelle d’élus, ils naviguent dans un étroit canal où ils peuvent perdre pied à tout moment. Pour autant, la solution est-elle l’ambigüité ? Les élus sont avant tout, ne l’oublions pas, élus de la nation. Ils ne portent plus les seuls intérêts partisans. Ils incarnent la nation et travaillent pour son progrès, son unité et sa survie. Lourde responsabilité. Par conséquent, ils doivent s’armer de courage pour défendre les valeurs républicaines : le droit à l’école pour tous, le droit pour les citoyens à mener leurs activités économiques en paix, le caractère sacré des symboles de l’Etat et du bien public.
Or, que constate-t-on depuis un an ? Beaucoup d’incivilités, d’actes de vandalisme et de pyromanie ont été perpétrés contre les édifices publics, sans compter le meurtre de représentants de forces de l’ordre, et bien peu de ces députés ont pris le courage de les condamner officiellement. Un parti politique qui aspire à gouverner le pays ne saurait se draper dans une telle ambigüité sans courir le risque de susciter des questions sur son aptitude à défendre les valeurs et les principes démocratiques. Les élus marqueraient donc d’une pierre blanche le cours de l’histoire en revenant dès ce jour à l’hémicycle, pour travailler avec leurs pairs à renforcer la démocratie, l’état de droit, et le développement d’un pays si cher à nous tous. Ce faisant, ils ne perdraient ni leur âme ni leur dignité. Encore moins leur manteau d’opposants. C’est bien cela le jeu démocratique.