Pr. Henri Ngoa Tabi: « Il faut créer de nouvelles activités plus productives »


L’éclairage du chef de département Economie Internationale à l’Université de Yaoundé II.

Le gouvernement projette pour l’année 2017, un taux de croissance du produit intérieur brut de 6%. Au regard des perspectives pour la zone CEMAC et le continent africain, quel serait selon vous, la meilleure approche pour tenir le cap face à une conjoncture internationale qui reste défavorable ? Selon le FMI, la croissance économique en Afrique subsaharienne a nettement ralenti puisqu’elle est évaluée à 3,5 % en 2015, le plus bas niveau depuis une quinzaine d’années, et devrait continuer de ralentir cette année pour s’établir à 3 % en 2016. Cette baisse de l’activité économique est causée par la chute des prix des matières premières elle même causée par la baisse de la demande mondiale et l’épidémie d’Ebola. Dans la CEMAC, le taux de croissance réel est projeté à 1,8% en 2016, mais repartirait légèrement en hausse en 2017. En raison de la vigueur de la consommation, notamment sa composante privée, et des investissements dans le cadre du développement des projets miniers et agricoles. Pour faire face à ces problèmes conjoncturels, les gouvernements utilisent généralement deux principaux instruments pour conduire leur politique économique à savoir la politique monétaire et la politique budgétaire. Les Etats de la CEMAC ont une banque centrale commune, c’est-à-dire, la politique monétaire est définie par une institution supranationale. De ce fait, ils perdent le contrôle de cet outil. Dans ces conditions, le seul instrument qui est sous le contrôle des pays de la CEMAC est le budget. Pour cette raison, le Cameroun doit améliorer sa performance dans la mobilisation de ses recettes budgétaires et surtout faire un suivi approprié du budget d’investissement, son taux d’exécution doit dépasser le seuil de 99%. Je voudrais rappeler que la résilience de notre économie s’explique entre autres par la réalisation des projets structurants qui sont majoritairement financés par l’endettement. Pour accroitre le taux d’exécution du budget d’investissement, il faudrait améliorer l’efficacité dans l’attribution des marchés publics, réduire les lenteurs administratives et achever rapidement la réforme agraire pour éviter les blocages causés par les problèmes d’indemnisation des populations. Jusqu’où faut-il compter sur l’embellie attendue sur les cours du pétrole sur le marché mondial, suite à l’accord historique de l’OPEP qui prend effet en début d’année? Le 30 novembre 2016, les 14 Etats membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) se sont entendus à Vienne pour réduire leur production. Les observateurs soulignent le caractère historique de cet accord puisque c’est la première fois depuis 2008 que les Etats de ce cartel se mettent d’accord. Aussitôt, le prix du baril a fait un bond de près de 10%, grimpant à 52 dollars à ce jour, il gravite autour de 52 dollars. Il faut rappeler que le Cameroun tire environ 12% de son PIB sur le sous-secteur des hydrocarbures et le pétrole est l’un des principaux produits d’exportation du Cameroun. La hausse attendue du prix du baril serait donc une bonne nouvelle pour l’économie camerounaise. Toutefois, il faut rester prudent. D’abord parce que l’OPEP n’a plus totalement le monopole sur la production du pétrole, et de loin, cette organisation n’est plus ce qu’elle était. La production du cartel ne représente aujourd’hui que près d’un tiers de la production mondiale. Au même moment, les pays non membres de l’OPEP tels que les Etats- Unis et le Canada ont presque doublé leur production en 10 ans et la tendance ne va pas s’inverser. En plus, les pays membres de l’OPEP (Algérie, Angola, Gabon, Lybie, Nigeria, Equateur, Venezuela, Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis, Irak, Iran, Koweït, Qatar et l’Indonésie) sont tous des pays en voie de développement sans une influence certaine sur la scène internationale. En outre, la croissance économique mondiale qui aurait pu causer une augmentation du prix du baril sera en hausse mais modérée, 3,4% en 2017contre 3,1% en 2016, selon les estimations du FMI. Mais, le taux de croissance de la production mondiale pourrait se situer en dessous de 3,4% ci-dessus projeté si le président élu des Etats-Unis venait à appliquer sa politique protectionniste annoncée lors de sa campagne. Cette politique va certainement restreindre le commerce mondial et par conséquent la production mondiale. Toutes choses qui laissent croire que nous serons loin des 100 ou 110 dollars le baril observés en 2008. Ensuite, il faut noter que l’économie camerounaise est assez diversifiée, si le prix du baril augmente, les prix des autres produits d’exportations tels que le cacao, le café, le coton et le bois ne connaitront pas tous la même tendance. Cette diversification de l’économie camerounaise explique aussi en partie sa résilience. En 2015 par exemple, nous avons eu un taux de croissance du PIB assez élevé alors que le prix du baril était historiquement bas. La baisse des cours de matières premières de manière générale, reste l’un des principaux freins à la croissance des économies africaines. Parlant du Cameroun, pensezvous que cette situation qui perdure mérite de la part du gouvernement une réorientation de sa politique économique ? Si oui, sur quels axes principalement ? Bien évidemment, nous devons modifier notre politique économique tout en consolidant les acquis. Les acquis à mon avis gravitent autour des projets structurants qui permettent à notre économie d’avoir des infrastructures qui peuvent booster la production du secteur privé. Il faut aussi avancer dans la réalisation des réformes institutionnelles notamment la lutte contre la corruption, les lenteurs administratives, le développement financier qui attire les IDE, la protection des droits de propriété à travers la mise en place d’un système judiciaire crédible. Il faut en outre adopter les principes de la transformation structurelle qui est au coeur du nouveau paradigme de développement et qui s’implémente à travers 4 principales actions, à savoir l’amélioration de la productivité, la diversification des échanges, l’accroissement des exportations et le bien-être des populations. De ce fait, le gouvernement doit procéder à une réallocation de l’activité économique, des secteurs les moins productifs, vers les secteurs les plus productifs. En d’autres termes, créer de nouvelles activités plus productives et assurer le transfert de ressources des activités traditionnelles vers les nouvelles activités, ce qui relève la productivité globale des facteurs. En plus, dans le cadre de la mise en oeuvre des APE, il faudrait améliorer la compétitivité de nos entreprises. Propos recueillis par Josiane TCHAKOUNTE


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