Professeur, le gouvernement vient de prolonger ses mesures de restriction de deux semaines. Comment réagissez-vous à cela ?
Au moment où la pandémie à coronavirus (Covid-19), connaît une croissance vertigineuse dans notre pays – nous sommes passés de 02 cas le 06 mars 2020, à plusieurs centaines de cas le 1er avril 2020 – cette prorogation est une bonne chose. Dans le même esprit de ces mesures barrières, il faudrait envisager des mesures de restriction beaucoup plus drastiques qui doivent aller jusqu’à la restriction de la circulation des personnes dans le territoire national, afin d’éviter la propagation de ce virus maudit.
Comment évalueriez-vous ces 15 premiers jours ?
Le gouvernement a pris une série de mesures salutaires de restriction pour minimiser l’impact de cette crise sanitaire et économique sans précédent dans notre pays. Force est de reconnaître que les populations se sont soumises pendant cette première quinzaine à certaines de ces prescriptions à l’instar de se laver les mains plusieurs fois par jour avec du savon, respecter la distanciation sociale, tousser dans un mouchoir jetable ou dans le pli du coude. Cependant, on a remarqué des résistances sociales à plusieurs de ces injonctions de bon sens, comme par exemple l’évasion de plusieurs espaces de quarantaine ou le refus obstiné de s’y soumettre ou de se faire dépister. Ceci pose aussi la question du civisme de certains de nos compatriotes et appelle à l’égard des récalcitrants, le renforcement de l’autorité de l’Etat, car ils mettent en péril la sécurité sanitaire.
Cette décision intervient alors qu’une certaine opinion s’attendait peut-être à un durcissement des mesures de restrictions, un confinement, voire un état d’urgence sanitaire. Partagez-vous cette attente ?
Je suis personnellement en faveur d’un confinement généralisé et obligatoire pendant une période suffisamment longue, à l’instar des autres pays où le confinement a permis de ralentir l’épidémie, voire quasiment de l’éradiquer de leur territoire national.
Quels est pour vous, la solution la plus efficace pour freiner la montée actuelle des chiffres de contamination au Cameroun ?
Nous devons renforcer la coordination au niveau interministériel et décentraliser toutes les structures de décision et de prise en charge. Nous devons avoir le courage de restreindre de manière drastique la circulation des personnes sur toute l’étendue du territoire national. Il importe ici de rappeler que dans l’histoire des grandes pandémies d’infections contagieuses, ces dernières ne sont contrôlées que lorsque les gens sont contraints à se comporter au mieux, afin de stopper la dynamique de transmission. Nous devons mener une campagne de dépistage à grande échelle notamment avec des tests de dépistage rapide, et prendre en charge les personnes dépistées positives. Il s’agit aussi d’intensifier les campagnes de sensibilisation, surtout dans les langues vernaculaires, sur tous les principes d’hygiènes et les modes de transmission. Il s’agit enfin d’amener les Camerounais à s’approprier les problèmes de la cité par leur solidarité, et aux municipalités de construire le bonheur de leur population, en rendant disponible par exemple des points d’approvisionnement en eau potable. Enfin, l’Etat, dans sa prise en charge, doit accorder une attention particulière aux personnes vulnérables (y compris les personnes vivant avec le VIH et autres pathologies), en réhabilitant les filets sociaux, au personnel soignant, qui mérite des moyens médicaux et financiers, et toutes les personnes dépistées positives, qui doivent être soignées gratuitement.
Le système de santé camerounais est-il vraiment si incapable de faire face à une flambée, comme l’insinuent bon nombres de spécialistes ?
Une pandémie à l’instar de celle que nous vivons aujourd’hui a démontré les limites de l’offre sanitaire dans la plupart des pays, mais surtout l’énorme fossé qui sépare les pays du nord à ceux du sud. A titre d’exemple, le peu d’espaces de mise en quarantaine au Cameroun, environ 1,3 lits d’hôpitaux pour 1000 habitants d’après les statistiques de la Banque mondiale, contre 6,5 en France par exemple, auxquels s’ajoute une faible capacité en oxygène et en assistance respiratoire. On comprend aisément que si le taux de contamination au SARS-CoV-19 s’élève, notre système de santé sera incapable de faire face dans de bonnes conditions.
Sinon, comment exploiter de manière optimale les moyens dont dispose le pays ?
Le Cameroun dispose d’une expertise locale, parfois de réputation internationale, mais curieusement le plus souvent spectatrice des catastrophes qui se profilent sur son propre sol. Un développement de la recherche et le renforcement des capacités de nombreux hôpitaux et institutions de recherche médicale dans la cité capitale et dans les régions permettraient de répondre de manière plus efficace aux épidémies. Enfin, la création d’un véritable Institut de Santé Publique, avec un personnel bien formé, permettrait à ce dernier de jouer un rôle central dans la riposte contre les épidémies.
Sur la base de l’évolution actuelle, à quoi peut-on s’attendre en termes de pic de l’épidémie au Cameroun (prévalence et période approximative) ?
Un dépistage à grande échelle et une modélisation prenant en compte l’épidémiologie, la virologie, la sociologie et l’anthropologie, va permettre de recueillir l’ensemble des données susceptibles de permettre au Cameroun de faire face à la dynamique de propagation du virus. Nous sommes sans doute très loin du pic épidémiologique. Cependant une campagne de communication claire et cohérente est essentielle pour infléchir la courbe de la pandémie à SARS-CoV-19 au Cameroun. Une telle campagne permettra de faire adhérer largement le public afin qu’il devienne à part entière un partenaire crucial dans la riposte contre cette pandémie.
L’autre débat en ce moment est celui des protocoles de prise en charge médicale. Quelle est votre chapelle à ce sujet ? Chloroquine ou pas Chloroquine ?
Le Professeur Didier Raoult vient d’annoncer « la démonstration in vitro de la synergie hydroxychloroquine / azithromycine pour contrer la réplication du SARS-CoV-19». A ce jour, le suivi strict des patients traités pour Covid-19 par l’équipe du Professeur Raoult, soit en ambulatoire, soit en hospitalisation conventionnelle, n’a pas révélé d’évènement clinique significatif. Ces observations sur plus d’un millier de patients sont de nature, selon le Prof Raoult, à rassurer sur la sécurité d’utilisation de l’association d’hydroxychloroquine et d’azithromycine dans le contexte épidémique menaçant que nous connaissons. En outre en l’absence d’alternatives plus efficace et moins onéreuses, notamment en contexte africain, on ne peut que se ranger du côté du Professeur Raoult. J’en profite pour encourager les pouvoirs publics à généraliser ce protocole de traitement dans notre pays. En définitive, la seule bataille qui vaille est celle qui consiste à sauver des vies.