Les banques en Afrique veulent davantage se consacrer à ce secteur pour accompagner la transition énergétique à travers le financement des projets d’énergie renouvelable.
Pour les pays africains, la mise en œuvre des contributions nationales (NDC), pour atteindre les objectifs climatiques va générer des besoins en financements colossaux. A titre d’exemple, celle du Cameroun, qui porte sur 47 actions déclinées en dix programmes et une trentaine d’idées projets est estimée à 55 000 milliards de dollars US (plus de 27 millions de milliards de F). Chiffre communiqué lors d’une rencontre d’experts à Yaoundé, qui reste cependant à confirmer par des études en cours. Le montant vertigineux permet néanmoins de se faire une idée des nécessités financières. Et, de l’avis de nombreux spécialistes, les montants promis par les pays développés (un Fonds vert de 100 milliards de dollars chaque année à partir de 2020) devraient s’avérer insuffisants. Idem en ce qui concerne l’engagement des 100 milliards de dollars à mobiliser d’ici à 2020, alimenté à 67% par des fonds publics. D’où la nécessité recourir à des voies de financements complémentaires.
Peu impliqué en matière de finance climatique, le secteur bancaire africain s’est montré actif lors de la COP 22 à Marrakech, en multipliant les initiatives pour accompagner la transition énergétique sur le continent, notamment à travers le financement de projets d’énergie renouvelable. Ainsi, par exemple, le groupe Caisse de dépôt et de gestion (CDG), acteur financier de premier plan au Maroc, affichant un total bilan de neuf milliards d’euros (près de 6000 milliards de F), en partenariat avec d’autres institutions financières notamment les caisses des dépôts africaines, le Fonds de pension public nigérian PENCOM, la Caisse des dépôts française et l’Agence française de développement, ont mis en place un réseau d’investisseurs africains. Celui-ci souhaite apporter sa contribution à la mobilisation de l’épargne domestique et mettre ainsi à la disposition des projets climatiques d’adaptation et d’atténuation, des moyens de financement supplémentaires. C’est aussi le cas de la mise sur pied d’un marché de capitaux africains constitué de 19 autorités représentant 26 pays africains, qui ont signé et approuvé l’Engagement de Marrakech pour l’encouragement des marchés de capitaux verts en Afrique ; du Fonds d’investissement de Marrakech pour l’adaptation (MICA), premier véhicule d’investissement privé en adaptation et en résilience, de 500 millions de dollars (environ 250 milliards de F) combinant des financements concessionnels et des investissements privés. Après la mobilisation des fonds, l’autre défi sera la simplification de l’accès à ces financements.
Mohamed El Kettani: «La rentabilité est une condition vitale»
Président directeur général du Groupe Attijariwafa Bank.
Pour une banque, en quoi consiste la finance climatique?
Afin d’accompagner la transition énergétique et d’atteindre les objectifs mondiaux assignés en matière de réduction du réchauffement de la planète, le secteur bancaire et financier est de plus en plus fortement engagé dans la mise en œuvre d’une finance climatique à même de répondre à de tels enjeux. Cette finance climatique consiste à déployer un ensemble d’approches et instruments de financement à même d’accompagner la transition énergétique à travers le financement de projets d’énergie renouvelable, le développement de produits visant à soutenir les projets liés à l’efficacité énergétique, et un ensemble d’offres à destination des PME et des ménages visant à encourager une consommation de produits économes en énergie. Pour le secteur bancaire, la finance climatique induit également de nombreuses actions en matière de RSE, afin d’intégrer la dimension environnementale dans ses stratégies d’accompagnement de l’économie.
Quelle est l’expérience de votre banque dans le secteur?
Nous avons choisi de nous engager fortement dans la finance climatique et ce depuis plusieurs années, à la faveur des orientations prises par le royaume du Maroc pour faire des énergies renouvelables un axe majeur de sa politique énergétique. Notre vision s’articule autour de trois leviers majeurs. Tout d’abord, l’accompagnement de l’ensemble des projets de développement de capacités de production électrique, afin de répondre aux besoins énergétiques de notre continent. Par conséquent, nous nous sommes fortement engagés dans le financement de projets énergétiques, et en particulier, d’énergies renouvelables. Au cours des cinq dernières années, nous avons ainsi consenti une enveloppe de financement de près de 1,5 milliard de dollars US en faveur de projets entrant dans le cadre de la transition énergétique. Le second axe de notre stratégie porte sur la promotion de l’efficacité énergétique auprès de nos clients entreprises et particuliers. Nous avons ainsi décidé de créer le Fonds africain d’efficacité énergétique, avec notre partenaire Suma Capital, afin d’aider nos clients, PME et grandes entreprises, à réduire leur empreinte carbone et leur consommation énergétique. Ce Fonds est doté d’une enveloppe-cible de 50 millions d’euros. Enfin, le troisième axe de notre stratégie porte sur la promotion du marché financier au service de la transition énergétique. Il s’agit de développer un ensemble d’instruments financiers devant permettre aux investisseurs financiers et acteurs institutionnels de s’engager dans le financement de projets « verts ».
La finance climatique est-elle un secteur viable pour une banque?
La rentabilité est une condition vitale pour attirer les investisseurs privés et permettre d’engager des financements de façon pérenne. À cet égard, le développement par les différents pays d’une vision globale du secteur énergétique, mais aussi d’un cadre législatif propice aux PPP (partenariats publics privés) et d’un savoir-faire pratique dans la négociation de projets, s’avèrent nécessaires pour attirer les investisseurs et déclencher des projets nécessitant des financements conséquents et à long terme. En effet, les investisseurs requièrent un cadre et une visibilité à long terme pour leurs investissements, ce qui nécessite des contrats d’achat d’électricité efficients, sécurisés par un soutien à long terme des pouvoirs publics. Cela permet ainsi à ces derniers de transférer la charge d’investissements aux acteurs privés, qui doivent, en contrepartie, bénéficier d’une rentabilité satisfaisante de leurs investissements. S’agissant du secteur bancaire, les financements mis en place en faveur du secteur énergétique sont effectués sous forme de projet finance et nécessitent également que les prérequis relatifs au cadre institutionnel et au schéma PPP, soient remplis.