Etat civil: ces maux qui gangrènent le système


Entre le faux documentaire et la non déclaration, le processus camerounais fait face à de nombreuses difficultés.

Il existe plus de 2 600 centres d’état civil au Cameroun. Il faut ranger dans ce registre les centres principaux, logés dans les 374 communes et communautés urbaines que compte le Cameroun et les centres secondaires qui leur sont rattachés. A cela, il faut ajouter les centres installés auprès des missions diplomatiques et des postes consulaires du Cameroun à l’étranger. La multiplication de ces structures, de l’avis des pouvoirs publics, visait un but : rapprocher ces administrations des administrés afin de faire face aux manquements observés jusque-là et dont le plus récurrent était la non déclaration des naissances ou des décès. Pourtant, les nouvelles dispositions de la loi N°2011/011 du 6 mai 2011 modifiant et complétant certaines dispositions de l’ordonnance N°81/02 du 29 juin 1981 portant organisation de l’état civil et diverses dispositions relatives à l’état physique des personnes physiques ont été faites pour donner plus de marges aux parents et aux familles pour satisfaire à cette obligation. C’est ainsi que l’article 30, nouveau, dispose que la « naissance doit être déclarée à l’officier d’état civil dans les soixante jours », au lieu des trente jours qui étaient jusque-là appliqués.

Le constat fait aujourd’hui est que ces délais ne sont pas toujours respectés. Bien plus, les voies à suivre lorsque l’on est hors délai ne sont pas respectées. Il s’agit notamment, comme le prévoit l’article 32 qui souligne que « les naissances déclarées après l’expiration des délais prévus … peuvent être enregistrées sur réquisition du procureur de la République saisi dans les six mois de la naissance ». De nombreux officiers d’état civil ne trouvent plus l’obligation de se soumettre à ces règles. Pour la déclaration des décès, les délais sont plus longs. La loi susmentionnée prévoit quatre-vingt-dix jours. Les chiffres fournis par le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF), en la matière, illustrent la gravité de la situation : 30% des enfants qui naissent ne se font pas établir des actes de naissance alors que seuls 6% des décès sont déclarés. Outre ces faits qui peuvent paraître bénins, le faux documentaire est l’un des principaux maux qui minent ce système. Principalement mis en cause, les centres secondaires. On comprend dès lors la décision des pouvoirs publics d’engager la réforme du système depuis bientôt dix ans. Ce avec l’appui de partenaires étrangers, dont la France.

René Emmanuel Sadi: « Nous lançons un avertissement à tous les acteurs du processus »

Ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation.

Monsieur le ministre, lors de la session du Conseil de cabinet de jeudi dernier, le Premier ministre a recommandé l’accélération de la réforme du système d’état civil. Où en est-on avec ce processus ?

C’est la dernière phase à laquelle nous sommes parvenus pour cette réhabilitation du système d’état civil. Et c’est sans doute la plus importante et la plus coûteuse. Nous sommes aujourd’hui en train de rassembler les offres. Dans les prochains jours, nous aurons à lancer un appel d’offres, pour déterminer la société qui permettra de procéder à l’informatisation du système d’état civil camerounais. Ce sont des offres qui viennent de différents pays du monde. C’est donc un travail de longue haleine, qui sera coûteux, dans la mesure où il faudra pratiquement parcourir l’ensemble du pays, passer dans les centres d’état civil principaux et secondaires. Ceci nous permettra de récolter toutes les données nécessaires et d’avoir un fichier national d’état civil beaucoup plus disponible et fiable. Ce n’est pas un défi facile à relever. Dans la mesure où nous aurons mis en place toutes les structures techniques, nous devrons mobiliser les moyens financiers nécessaires. Mais, il restera le facteur humain, notamment la moralité des personnes qui seront amenées à conduire ce processus. Leur moralité est importante.  Il y en a qui sont effectivement à l’origine d’insuffisances que nous constatons dans l’établissement des actes d’état civil. Si les officiers d’état civil ne sont pas conscients dans l’établissement des actes de naissance, de mariage etc., nous aurons des données falsifiées au niveau de l’ensemble du fichier national. Leur responsabilité dans la véracité de ces actes est donc de mise. Le processus est en cours. Le Bureau national qui a été mis en place par le chef de l’Etat est à pied d’œuvre.

Six ans après le lancement de la réforme, quel bilan ?

Nous avons parcouru un certain nombre de phases. La première était de faire l’évaluation de la situation. Nous avons à peu près 2 700 centres d’état civil principaux et secondaires. Concernant la finition des matériels, des registres d’état civil, le travail a été fait. Autre phase, c’est la campagne de sensibilisation. Nous avons fait appel aux différentes autorités administratives, traditionnelles et municipales pour sensibiliser les populations sur la nécessité d’établir les actes d’état civil. Comme vous le savez, dans plusieurs localités de chez nous, notamment les plus éloignées, nous exhortons les familles à déclarer les naissances de leurs enfants. Sur ce plan, beaucoup a déjà été fait, notamment avec le concours des parlementaires. Nous avons même fait des films dans différentes régions pour faciliter le processus de la 5e phase qui consistait en l’informatisation du système, pour sécuriser davantage les actes d’état civil camerounais.

En un mot, vous sifflez la fin de la récréation dans le système d’état civil camerounais…

Le réel défi qu’il faut relever, c‘est comment faire pour conscientiser les acteurs qui vont intervenir dans ce domaine, et comment faire pour que la responsabilité soit partagée. Voilà notre véritable challenge. C’est pourquoi nous aurons non seulement les campagnes de sensibilisation, mais aussi l’avertissement que nous allons lancer à tous les officiers et secrétaires d’état civil qui falsifient ces documents : ils peuvent être conduits devant les tribunaux, même s’ils sont dans l’arrière- pays, où ils se croient tout permis. Par ailleurs, nous allons faire connaitre aux autres, les risques liés aux comportements irresponsables dans ce domaine. Ces acteurs doivent prêter serment afin de prendre des engagements pour la qualité et la véracité de leur travail. Nous allons être très regardants, à travers les campagnes de sensibilisation.

Propos recueillis par Emmanuel KENDEMEH


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