Pr Daniel Abwa, historien et secrétaire général de l’université de Yaoundé I.
Le multiculturalisme et le bilinguisme sont présentés comme une véritable richesse pour le Cameroun. Comment cela est-il vécu au quotidien?
Relevons d’entrée de jeu que le Cameroun est une multiplicité et une diversité ethnique et culturelle. Raison pour laquelle on appelle le Cameroun Afrique en miniature, parce que ce que vous trouvez ici est l’essentiel de ce que vous trouvez ailleurs. Au Cameroun, vous trouvez des populations de savane, de forêt, des montagnes et de la côte. Tout cela fait que le Cameroun est une terre de diversité qui crée un multiculturalisme. Nous avons des cultures de savane, des pêcheurs, des agriculteurs et des éleveurs. Ce multiculturalisme est une véritable force pour ce pays parce que rien ne nous est étrange. Nous avons pratiquement tout. Si vous allez dans la partie septentrionale, vous avez des cultures qui sont camerounaises. Dans la partie méridionale, le Cameroun est divers. Le bilinguisme fait également notre force en ceci que nous ne sommes pas nombreux, les pays au monde qui peuvent valablement présenter deux langues comme langues officielles. Surtout pour ce qui est de l’Afrique, des langues officielles qui viennent d’ailleurs, à savoir : le français et l’anglais voulus par des Camerounais. Lorsque Français et Britanniques se partagent le Cameroun en 1916, ils n’ont aucune intention de le voir se remettre ensemble. Les Français n’ont jamais voulu que le Cameroun français se réunisse avec le Cameroun britannique et réciproquement, chacun a administré son territoire de manière parallèle. Si les Camerounais ont adopté le bilinguisme, c’est que mis devant cette division qu’ils n’ont pas souhaitée, ils ont fini par trouver la formule qui peut les remettre ensemble et sans en fait obérer leurs réalités profondes. Pour qu’ensemble ils puissent se parler, ils ont accepté que les cultures héritées de la colonisation ne soient pas quelque chose qui les empêche d’être ensemble, mais soit plutôt un élément qui renforce leurs capacités dans le monde. D’où le choix du bilinguisme à la conférence Foumban avec le français et l’anglais comme langues officielles auxquelles ils vont donner l’égalité dans leur usage au Cameroun. Ce bilinguisme fait donc notre force parce que quand nous sommes dans les conférences internationales où le français et l’anglais sont utilisés, généralement tout le monde se retourne vers les séminaristes camerounais pour faire une traduction dans l’une ou dans l’autre langue. Dans le monde, il y a le Canada et le Cameroun qui sont bilingues dans ce sens. Chez nous, c’est un bilinguisme plus approfondi parce que dès le départ les pères fondateurs de ce bilinguisme ont préconisé que tous les Camerounais parlent à la fois le français et l’anglais. Ils n’ont pas dit que le français appartient à une catégorie de Camerounais ou que l’anglais appartient à une catégorie de Camerounais. Mais que les Camerounais dans leur grand ensemble apprennent à parler et à écrire, et le français et l’anglais. D’où notre force dans le bilinguisme qui est notre. C’est quelque chose que nous ne devons pas abandonner même si nous devons donner la part à nos langues nationales.
Vous affirmez que les anciennes puissances coloniales n’ont jamais voulu voir le Cameroun uni. Est-ce donc à dire que suivre cette voie serait une grave erreur de la part des Camerounais?
Nous ne sommes pas les premiers. Les Français et les Britanniques se sont partagé beaucoup de territoires dans le monde. Ces territoires n’ont pas réussi leur unification jusqu’à ce jour. Même l’Allemagne a dû attendre pendant longtemps pour briser le mur de Berlin et reconstituer cette Allemagne d’antan. La Corée est encore en train de chercher à recréer cette unité. L’Indochine a essayé. Donc, nous nous sommes comme l’un des rares pays à avoir dit non à notre séparation. Les Camerounais devraient en être très fiers. Vous avez une partie du Togo qui est au Ghana parce qu’il a également connu cette division. Ils n’ont pas réussi la même réunification que nous. Non! L’intelligence des pères fondateurs a voulu qu’aucune des deux langues ne soit pas supérieure à une autre. C’était un des trait de génie qu’il faut saluer à sa juste valeur. La colonisation n’a pas réussi à diviser les Camerounais.
S’il est prouvé que le multiculturalisme et le bilinguisme sont une richesse incommensurable pour le Cameroun, comment préserver donc ces acquis face aux velléités sécessionnistes dans les régions du Nord-Ouest et du Sud- Ouest?
Ma vision de ce conflit est connue. J’ai toujours dit qu’il n’y a pas d’anglophones, il n’y a pas de francophones. Il n’y a que des Camerounais. C’est parce que les Camerounais veulent se particulariser pour dire qu’ils ne sont pas comme les autres que ce problème se pose. Nous sommes là en face de ce qu’on pourrait appeler des replis identitaires qui prônent l’exclusion de l’autre. L’autre qui n’est pas moi ne doit pas être avec moi. Au Cameroun, nous avons refusé à travers notre Constitution cette exclusion. Notre loi fondamentale permet même à chacun de pouvoir se sentir véritablement Camerounais partout où il peut être. Il y est également indiqué que même les minorités puissent être respectées et protégées pour que chaque Camerounais se sente Camerounais. Ceux qui prônent justement cette exclusion n’ont pas l’esprit camerounais. Il faut avoir le courage de le dire. S’ils étaient Camerounais, ils ne parleraient pas ainsi. Aucun Camerounais véritable ne peut parler ainsi. Même le Southern Cameroon, pendant toute la période où les Anglais ont voulu les intégrer au Nigeria pour en faire des Nigérians, ils ont dit : non ! Nous sommes Camerounais. Cette camerounité s’est manifestée par tous les partis politiques qu’ils ont créés à travers l’usage de la lettre «K» qui symbolise le Kamerun allemand. Vous avez donc eu le KNDP, KUNC, etc. La grande majorité de Camerounais doit les combattre pour qu’ils ne créent pas une division factice et vous pouvez même savoir que le plébiscite de 1961 n’avait donné que deux options : ou être avec la fédération du Nigeria ou être avec le Cameroun indépendant. Pourtant il y avait des gens qui prônaient une troisième voie qui était celle de l’indépendance du Southern Cameroon. Cette troisième voie n’a pas été acceptée parce que comme disait Mbilé dans son livre : «Un petit Cameroun qui serait entre le Nigeria et le Cameroun ne pourrait pas survivre ». C’est une vérité que tout le monde connait.