Quel regard le sociologue que vous êtes porte-t-il sur l’année 2018 qui s’achève ?
Par-delà toute chronologie conventionnelle, il s’est agi d’une année particulièrement longue et épuisante. Elle aura dans ses premières heures cristallisée un grand nombre de peurs sociales et politiques. Ces formes inédites de stress étaient en grande part alimentées par deux principaux facteurs : la militarisation de l’adversité politique, imposée par des extrémistes séparatistes de la cause anglophone avec son coût humain et social particulièrement élevé, et l’inquiétude sur la capacité de la classe politique à gérer de manière responsable l’élection présidentielle d’octobre 2018, ceci dans un contexte général de quasi récession économique et de crispation communautariste. Heureusement, ces deux facteurs n’ont pas conduit à des formes d’implosion que l’on craignait. Une logique politique gouvernée par un certain éthos de tempérance a prévalu et a révélé une certaine résilience sociale et institutionnelle unanimement saluée. Ce fut aussi une année pleine de larmes. Avec le retrait de la CAN 2019 au Cameroun, qui a donné un coup particulièrement rude à notre narcissisme collectif, puisque perçu comme un échec national. Elle a enfin arraché à notre affection, d’importantes figures de notre vie publique : je pense au grand entrepreneur Kadji Defosso et surtout à l’un des plus grands penseurs que le monde entier nous enviait, le très regretté Fabien Eboussi Boulaga.
2018 s’achève de manière somme toute apaisée, notamment avec les mesures prises par le chef de l’Etat pour calmer les tensions dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Cela vous semble-t-il suffisant pour ramener le calme ?
C’est un déclic important. 2018 était en effet parti sur des chapeaux de roue avec l’arrestation au Nigéria et le rapatriement au Cameroun de ce qui apparaissait comme le leadership moral et politique des séparatistes. Ce fut un épisode majeur dans le raidissement de la répression judiciaire de la gestion de cette crise. 2018 s’achève donc avec des mesures apaisées qui pourraient relever des approches de la désescalade. Et à cet égard, elles sont tout à fait salutaires. La répression militaire et judiciaire ne saurait constituer les formes prioritaires de la gestion de cette crise particulièrement complexe qui mêle à la fois des éléments d’une crise de partage. Les mesures du chef de l’Etat sont des gestes d’accalmie qui prolongent d’autres gestes utiles : la désignation de deux personnalités anglophones à la tête de deux grands ministères (l’administration territoriale et les enseignements secondaires). Avec la reconfiguration de l’ex Minatd qui est scindé en deux ministères distincts, il y a l’affirmation d’accélérer le processus de décentralisation à travers la modification de l’organigramme gouvernemental qui consacre un ministère autonome chargé de la décentralisation. Le calme sera une construction longue, collective et intégrée de l’ensemble de ces gestes de pacification durables.
A l’aune de ces mesures, comment appréhendez-vous l’évolution du climat social au cours de l’année 2019 ?
Toute prophétie étant par définition précaire aujourd’hui, on peut toutefois dire qu’une évolution positive du climat social est à espérer. Il y a lieu de donner leur chance aux forces vives qui sont institutionnellement impliquées dans les différentes plates formes de cicatrisation des blessures sociales engendrées par ces spasmes de fratricide. Je pense à la Commission Musonge et au Comité de Fai Yengo. Plus fondamentalement, l’évolution du climat social dépendra de la capacité des autorités gouvernementales à traduire en politiques publiques efficaces, certaines grandes orientations annoncées par le chef de l’Etat dans son discours d’investiture de novembre dernier.
Quels seront à votre avis les principaux enjeux pour l’année à venir ?
Les principaux enjeux pour l’année qui vient sont avant tout contenus dans les deux premiers mots de notre devise : paix et travail. La demande sociale et politique de paix est unanime. Tout comme la demande sociale et économique de prospérité. Il y a lieu d’espérer qu’en tant qu’année électorale, les motifs de distraction soient moins présents. Les exécutifs municipaux et la chambre basse du parlement seront renouvelés. Il s’agit là d’un enjeu politique important qui peut avoir des implications institutionnelles majeures. La demande de renouvellement et de rajeunissement du personnel politique fortement exprimée durant la dernière élection présidentielle peut trouver là motif d’actualisation. Il s’agira aussi d’accélérer de manière intelligente le processus de décentralisation pour que le fantôme sécessionniste qui hante notre histoire nationale soit durablement conjuré et que le visage du Cameroun, récemment défiguré par la tristesse des déchirures internes soit recousu, pour redevenir le pays de la paix et du travail.
Y a-t-il des attentes particulières que devraient nourrir par les populations ?
Dans son discours d’investiture, le chef de l’Etat s’est fait l’écho d’un soupir général, qui s’exprime dans la conversation sociale commune : la demande des politiques de prospérité et de justice sociale. La construction d’un vivre-ensemble apaisé, passe nécessairement par la promotion plus accentuée encore des politiques de l’égalité des chances. Plusieurs instruments existent : à travers la fiscalité, les choix macro-économiques courageux et intelligents, l’instrument monétaire ou encore un réaménagement profond de la gouvernance. Il n’y a donc pas de fatalité en la matière.